L’univers est fait d’un milliard d’étoiles, d’astres et donc de mondes. Ces mondes coexistent, s’ignorent et évoluent. Certains s’éteignent alors que d’autres voient le jour. Sur un plan magique quelconque, plusieurs créatures nageaient dans une eau cristalline. Des êtres suprêmes, différents de la forme humanoïde que nous connaissons et affectionnons, dépassant même notre capacité d’entendement, habitaient un endroit qui leur était exclusivement réservé. Ils avaient le pouvoir de modeler la réalité, façonner des parcelles de leur monde et s’amuser à se délasser dans un univers totalement fictif. Le temps était suspendu si bien que ces entités naissaient sans ne jamais disparaître.

Deux de ces êtres, que l’on pouvait qualifier de 'femmes' — bien que ces entités n’avaient pas de genre — s’éloignèrent alors de l’étendue d’eau pour observer le néant de l’univers. Leur nom était Céres et Kai. L’une avait l’habitude de revêtir une forme lumineuse alors que l’autre se contentait de ténèbres. Ces halos étaient autant à l’image de leur façon de penser que de leurs mots. Pourtant, elles s’entendirent parfaitement et décidèrent de faire route ensemble, dans un monde où le rêve était permis.

Leurs entrevues durèrent mille ans. Ou peut-être était-ce deux mille ans ? Qu’importait cela aujourd’hui. Elles discutaient, rêvaient, bataillaient, débattaient, se réconciliaient, mais jamais ne se quittaient. Plus le temps avançait, plus elles ne formaient qu’un. Après des ères de tergiversations, elles se mirent d’accord sur un point : le néant qu’elles avaient sous les yeux, à chaque fois qu’elles discutaient, était bien trop vide. Il fallait y apporter de la vie, de la clarté. Aussi décidèrent-elles de s’adonner à l’art de la création.
Les entités prirent ce qui, pour elles, semblait n’être qu’un caillou. Une simple petite miette sous un pied. L’une recouvrit ce Nouveau Monde de terre et de mer alors que l’autre s’évertua à créer l’herbe, les arbres, les montages et le vent. Chacune apporta un détail pertinent à l’invention de sa consœur. Cependant, elles ne s’attardèrent que sur la nature. Ainsi certaines régions subissaient des saisons alors que d’autres étaient victimes de cataclysmes quand l’une des deux s’emportait contre l’autre. Mais les déesses prenaient soin de la vie qu’elles avaient donnée : les animaux.

Céres et Kai inventèrent des centaines d’espèces, s’amusant à les voir grandir, évoluer, mettre au monde puis mourir pour laisser la place à la génération d’après. Ces êtres n’étaient pas très intelligents, mais il ne fallait pas forcément réfléchir. Elles dictaient les règles et les animaux suivaient. Voilà le grand ballet qu’elles instaurèrent sur Nyrmanel.


Devant cette création qui emplissait leurs journées et parfois leurs nuits Céres et Kai ne cessaient d’inventer, d’expérimenter, de jouer et de peaufiner ce monde qui leur ressemblait de plus en plus. Elles créèrent des régions totalement différentes où l’herbe était bleu, rouge ou jaune ; le ciel semblait vert ou noir ; et les arbres bleus ou gris. C’était haut en couleur et cela leur plaisait. Cependant, au fil des siècles et même des millénaires, les changements que ce caillou montrait ne plaisaient pas vraiment aux déesses. Si Kai était pour le laisser évoluer et faire sa route, tel que la nature le dictait, Céres n’était pas de cet avis. De colère, comme il arrivait parfois, elle n’éclaira plus le monde de sa lumière incandescente. Si d’habitude elle ne partait que quelques jours, ici cela se compta en année. Sans lumière, chaleur et soleil, la terre muta en un miasme nocturne. Et en plus de deux siècles, le monde et ses êtres vécurent des disparitions traumatisantes, voyant alors plusieurs espèces s’éteindre.

Kai, seule, veilla le monde. La terre avait noirci et l’herbe avait fané. Lorsque la Lumière revint et redécouvrit sa création aussi sombre, elle fut choquée des changements auxquels elle ne s’attendait pas et accusa Kai d’avoir perverti ce bijou en son absence. Les Ténèbres se défendirent, impulsives et colériques comme à chaque fois, à bout de nerfs d’avoir tant attendu. Dans un geste punitif, Kai effleura Céres. Ne connaissant pas la portée de son geste, chacune se rendit compte que Ténèbres était nocive pour Lumière. Ainsi, elle l’empoisonna de son suc obscur. Une petite partie de la déesse radieuse se consuma et vint se perdre dans la noirceur de celle qui était dorénavant devenue son ennemie. Furieuse de se voir attaquée de la sorte, elle commença à envahir Kai, la brûlant de part et d’autre de sa rage de feu.
La lutte dura plusieurs jours, chacune s’absorbant tour à tour, avant de s’entretuer, faute de pouvoir se calmer.

Céres avant de défier une nouvelle fois sa consœur de la toucher pour pouvoir enfin disparaître, se vit tomber avec elle vers le monde qu’elles avaient créé. Seulement, dans la chute, les deux finirent par s’étioler entièrement. Ainsi n’atterrirent sur la terre que quelques fragments des entités. Les uns irradiant de lumière et les autres absorbant toutes les couleurs, dans leur noirceur ténébreuse.


Les animaux qu’il y avait dans la région au moment où Céres et Kai moururent, disparurent totalement des lieux environnants. Pris dans l’explosion de la chute ou simplement parti ? Personne ne le saura jamais. Ainsi, aucune âme ne dérangeait ces morceaux divins, gisant sur le sol. Alors, telles les plantes qu’elles créèrent, les fragments se mirent à grandir et à façonner la vie. À sculpter quelque chose qu’elles ne maîtrisaient pas, qu’elles n’avaient même pas prévu : Les Spero.

Les Spero sont les descendants des Humains qu’il existe aujourd’hui sur Nyrmanel. Ils avaient plusieurs bras, plusieurs jambes, une tête avec plusieurs yeux et quelques cavités supplémentaires pour entendre ou se nourrir. Ils étaient primitifs et particulièrement limités psychologiquement. Beaucoup, fragiles, ne purent survivre à la première vague de grande chaleur. La disparition des deux déesses créa un déséquilibre à échelle mondiale, qui bouleversa les saisons, les températures et le cycle du jour et de la nuit. Les Spero vécurent leur évolution sur plusieurs siècles. Ils s’adaptèrent aux régions, aux dérèglements présents et survécurent coûte que coûte dans ce monde abandonné.

Il fallut plusieurs siècles à cette race pour évoluer. Ils vivaient de manière spartiate et se contentaient de suivre leur instinct reproducteur. Seulement, en fonction des régions et des dangers, leur corps et leur mentalité changèrent et s’adaptèrent. Il faudra cependant attendre presque deux mille cinq cents ans à l’évolution, pour en faire les Humains d’aujourd’hui. Gagnant en intelligence, en magie et en facultés, ils laissèrent tomber le nom de Spero et prirent quelque chose plus à leur image.
De ce fait, l’Humanité vit le jour.